L’estimation des pertes humaines de la Guerre de Sécession (1861-1865) a bien évidemment fait l’objet de nombreuses interrogations dès la fin du conflit.
Si le chiffre des victimes civiles, d’ailleurs très inférieur à celui de militaires comme lors de tous les grands conflits jusqu’à la Grande guerre, n’a jamais pu être vraiment déterminé, celui des morts militaires de l’Union est depuis les années d’après guerre précisément connu à partir de l’étude minutieuse d’abondantes archives.
Il s’établit précisément à 360222 morts en 4 ans, dont environ un tiers au combat, deux-tiers de maladie. Côté Confédéré, si quantité d’archives ont été préservées et publiées elles-aussi dès les années 1880-90 – dont des rapports d’opérations et des états de situation ponctuels très complets – d’autres ont irrémédiablement disparu. On ignore dès lors des chiffres clefs comme le nombre total de soldats enrolés sous l’uniforme gris (estimé en moyenne entre 900 000 et 1 million, contre environ 2,1 millions sous l’uniforme bleu) ou le bilan global des pertes confédérées.
En revanche, on savait assez précisément depuis une étude minutieuse de William F. Fox en 1889 (Regimental Losses in the civil War) le chiffre des pertes au combat, en compilant les rapports de situation : 94000 tués. En extrapolant la proportion de morts de maladie connue dans le camp nordiste, les historiens s’étaient donc accordés faute de mieux à une estimation de 260000 morts sudistes. 360000 + 260000 = 620000. Voilà le bilan de la guerre de Sécession tel que repris par tous les historiens pendant plus d’un siècle.
Or, il apparaît depuis une étude d’un historien démographe universitaire new yorkais, J. David Hacker en 2012, que ce bilan aurait été sous estimé dans une proportion difficilement quantifiable mais sans doute de l’ordre de 20%. Examinant minutieusement les données de recensement aujourd’hui numérisées et donc beaucoup plus facilement exploitables, et en se basant sur un certain nombre de facteurs telle la surmortalité par maladie des ruraux – très majoritaires dans les armées du Sud – Hacker en arrive à la conclusion que le nombre de morts, notamment confédérés, serait beaucoup plus élevé. Au total et selon ses calculs, la Guerre de Sécession aurait en réalité tué entre 650000 et 850000 Américains, soit, en restant au milieu de cette fourchette d’incertitude, 750000, nouvelle estimation aujourd’hui très largement acceptée dans la communauté historienne américaine.
Voilà comment d’un chiffre assez précis mais méthodologiquement discutable, on est passé à une réévaluation beaucoup plus scientifique, mais finalement moins précise. En tout état de cause, et outre la découverte en elle-même, le fait n’est pas neutre. « 20% de morts supplémentaires » écrit le professeur Hacker, « c’est au moins 37000 veuves et 90000 orphelins de plus » dans la période cruciale de l’après-guerre. Et dans un conflit déjà entré dans l’histoire comme le plus meurtrier de l’histoire américaine – 2% de la population de 1860 et un quart des hommes blancs du Sud selon l’ancienne estimation, proportion d’autant plus élevée désormais – la perspective à la fois historique et mémorielle est loin d’être anecdotique.