Petite remise en jambe d’été avec une question dont je constate depuis plusieurs mois l’étonnante récurrence dès qu’il est question de guerre de Sécession et d’esclavage : le mythe des soldats confédérés noirs, brandi par certains comme une preuve que la lutte des états sécessionnistes n’était décidément pas tant en lien avec l’esclavage qu’avec le patriotisme et le droit des états puisque, « comprenez vous », les noirs eux-mêmes étaient solidaires de la « cause ».
Disons le tout net, les causes et les racines de la Guerre de sécession sont assez complexes comme ça, et il s’agit ici d’un mythe qui, comme la plupart des mythes, hypertrophie néanmoins un soupçon de réalité pour mieux coller à une interprétation fortement biaisée de la guerre civile américaine. Ce mythe des « Confederate Blacks » a toutefois le mérite d’interroger sur une vraie question riche et complexe, celle de l’implication des noirs, volontaires ou contraints, dans l’effort de guerre confédéré ainsi que leur intégration dans la société sudiste, question que les simplifications outrancières et caricaturales de ces dernières années tendent à gommer comme en témoigne « l’hystérie » atteinte parfois ces dernières semaines aux Etats-Unis par la campagne anti « symboles sudistes » ayant suivi la tragédie de Charleston.

… et sa version d’origine non truquée, en compagnie de leur officier aussi incontestablement blanc que « yankee »
Qui sont donc ces « Black confederates » dont quelques bribes de témoignages décontextualisés et surexploités ou quelques cas aussi rares qu’emblématiques tentent de donner l’illusion d’un phénomène de masse ? Résumons donc rapidement la question : les Afro-américains combattant les armes à la main dans les rangs de la confédération constituent, dans le meilleur des cas, une minuscule poignée d’individus et ce dans des contextes singuliers; quelques rarissimes noirs « libres » (ils sont 250000 au Sud en 1860 pour 4 millions d’esclaves), socialement intégrés et parfois possesseurs d’esclaves eux-mêmes (aspects complexes et méconnus de la société sudiste) qui ont pu localement se comporter solidairement de leur communauté d’appartenance, tout comme certains esclaves montreront une fidélité « familiale » indéniable envers leurs maîtres. Au delà, et à l’inverse des 175 régiments et des 185000 noirs ayant combattu dans les armées nordistes (en grande majorité des anciens esclaves libérés ou en fuite puisque le Nord ne compte lui non plus en 1860 pas plus de 250000 noirs libres) les seules unités noires sudistes constituées font très pâle figure et apparaissent dans des contextes très précis et particuliers :
- Le 1st Louisiana Native Guards, un régiment de milice composé par des membres de la communauté noire libre installée à la Nouvelle Orléans parfois depuis le début du XVIIIe siècle, se porte volontaire en 1861. Les autorités l’acceptent avec réticence et il fera pendant un an un service de représentation. L’armée confédérée refuse cependant de l’utiliser au front. Lorsque les Nordistes prennent la ville, l’unité change de camp et offre ses services au général Butler, d’abord tout aussi réticent à un emploi au feu. En 1863, le régiment, rejoint par deux autres, intègre les United States Colored Troops et fera campagne dans l’Ouest.
- Deux compagnies noires sont levées en mars 1865 par le gouverneur de Virginie à Richmond alors même que la Confédération agonise. Elles sont le seul fruit d’une législation confédérée ambigue et tardive prévoyant d’armer 300000 esclaves pour compenser le déficit numérique de ses armées. Passé de justesse grâce au poids « moral » du général Lee mais violemment combattu par nombre de Sudistes, ce texte n’aura pas d’autres suites, faute de volonté et de temps. Les deux compagnies noires dont l’existence ne dépasse pas quelques jours ne verront d’ailleurs jamais le feu.

Marlboro Jones, icone des « black confederates » qui auraient pris fait et cause pour le Sud. En réalité, le domestique en campagne de son maître, Randal Jones, officier du 7e de cavalerie georgien.
Et… c’est à peu près tout. Qui sont alors les « dizaines de milliers de sudistes noirs » ayant prétendument servi dans les armées confédérées, antienne répétée à l’envi par une certaine littérature ? Ces invisibles sont des esclaves, dans leur immense majorité, « privés » ou « publics » : ceux ayant accompagné leurs maitres au camp comme serviteurs d’abord, comme c’est par exemple le cas de Robert E. Lee, accompagné par au moins deux esclaves (affranchis en 1862-63) d’Arlington, ainsi que son fils, conseiller de la présidence à Richmond, et ayant pour ordonnance le jeune Billy Taylor, lui aussi d’Arlington. Ceux ensuite, ayant été réquisitionnés, achetés ou loués par l’administration pour accomplir diverses tâches au service de l’armée, comme la construction de baraquements, de retranchements, le transport des vivres ou l’entretien des voies ferrées. Beaucoup, dès qu’ils en auront l’occasion, gagneront les lignes nordistes, d’abord comme « contrebandes », puis comme auxiliaires des armées du Nord, à des tâches guère plus gratifiantes au demeurant que pour leurs anciens maîtres. Un grand nombre s’engagera dans les régiments de l’USCT.
Et je m’arrêterai là pour aujourd’hui. Pour avancer un peu sur cette question, on pourra commencer par se reporter à la page consacrée au sujet par l’excellente Encyclopedia Virginia ou en français cette non moins excellente mise au point sourcée du CCFF
La guerre de sécession est ma passion, votre livre sur R E Lee est fantastique, je suis partisan du sud confédéré sans pour autant supporter l’esclavage ce qui est difficile à comprendre pour beaucoup, il aurait fallu que le sud abolisse l’esclavage avant de tirer sur fort Sumter, peut on échanger quelques idées à ce sujet ?
Bonjour et merci pour votre message. Je suis toujours prêt à échanger bien sûr, précisant qu’il n’y a pas lieu dans mon cas d’être « partisan » d’un camp ou de l’autre 😉
Quant à l’esclavage, c’est en effet très compliqué à appréhender parce qu’il est au coeur du Sud, et par contrecoup de la guerre, c’est indéniable, mais, sans pour autant que celle-ci puisse être réduite à cette seule dimension, loin de là. Mais parler d’abolition avant Sumter était tout simplement inimaginable dans l’esprit de ceux qui ont fait sécession, toute leur société étant basée sur « l’institution particulière », pas seulement comme mode d’organisation économique, mais aussi comme mode d’organisation sociale. Pas d’esclavage, pas de « bloc » sécessionniste à l’origine et donc pas de Sumter. L’idée que l’indépendance nécessite de sacrifier (au moins en partie) l’esclavage ne commence à émerger que très doucement, à la fin de la guerre, et encore est-elle violemment combattue par beaucoup.
Le monde entier était esclavagiste à cette époque. L’Asie, le Moyen-Orient, l’Afrique non-colonisée (et autrefois les amérindiens). En fait, seul l’Occident blanc a aboli volontairement l’esclavage. L’Arabie ne l’a aboli qu’en 1966 et la Mauritanie en 1982 (et encore, juste officiellement). Je suis également comme vous pour l’émancipation des hommes, mais soyons lucides, sans les blancs occidentaux émancipateurs l’esclavage règnerait encore partout sur terre.
Sur la participation de soldats noirs chez les confédérés, ça ne m’étonnerait qu’à moitié. Nous avions dans nos troupes coloniales beaucoup plus de volontaires que dans les guérillas indépendantistes. En Algérie, 350 000 maghrébins servaient en 1962 dans l’armée française, contre 10 000 dans les maquis. Les Yankees qui émancipaient les noirs génocidaient dans le même temps les amérindiens avec le complicité des soldats noirs. L’Histoire est bien plus complexe qu’on ne veut le dire souvent.
Merci de ce petit article faisant une mise au point sur ce point de controverse 🙂
Bonjour et merci à vous pour ce commentaire
J’avait utilisé un site qui s’est révélé être »pro » confédéré pour les effectifs des armées sudiste pour le Wikipédia. J’ai donc utilisé les liens que vous avez mit pour rectifié cela.