
Custer, étoile de general au col, insigne de lieutenant-colonel à l’épaule
Lorsqu’on se plonge dans l’histoire militaire américaine, et nous nous limiterons ici à celle du XIXe siècle, on se heurte vite à un système de grade complexe pouvant facilement être trompeur car pouvant associer pour un même officier plusieurs grades simultanés ou successifs d’apparence incohérents. Comment se peut-il, par exemple, que le général Custer, célèbre pendant la guerre de Sécession, soit seulement le lieutenant-colonel Custer tué à Little Big Horn en 1876, plus de dix ans après sa fin ? Pourquoi le général Lee arbore t-il sur la plupart des photos et gravures trois étoiles au col de son uniforme, indiquant un rang de simple colonel ?
Aux Etats-Unis à cette époque, un officier peut détenir jusqu’à trois grades distincts :
- Dans la milice d’état (organisée localement et individuellement par chacun des états)
- Dans l’armée dite « volontaire » ou plus tard « nationale » (créée à partir des milices ou par volontariat direct, et confiée en temps de « grande » guerre au gouvernement fédéral)
- Dans l’armée régulière (laquelle est très limitée – 16500 hommes en 1860 – mais permanente et professionnelle)
En outre, et c’est là que les choses se compliquent plus encore, chaque grade peut être doublé d’un autre obtenu par « brevet », c’est à dire à titre provisoire, conféré en récompense d’états de service (Lee en obtient trois successifs au Mexique, Grant deux) ou de façon plus pragmatique et fonctionnelle, pour permettre à un officier trop peu gradé d’avoir le titre nécessaire pour occuper un poste supérieur (par exemple pour confier à un simple colonel la fonction de payeur général). Ce système, dont il existe des équivalents plus ou moins comparables ailleurs, est particulièrement développé aux Etats-Unis entre la Révolution de 1776 et la fin du XIXe siècle, ou il est supplanté par des remises de décorations. Ces grades par brevet sont révocables, et non propriété de leur titulaire comme le sont les grades dits « pleins », et n’offrent qu’assez peu d’avantages autres qu’honorifiques, sauf s’ils sont assortis d’une fonction donnant droit à la solde correspondante. Quoi qu’il en soit, un « breveté » est toujours à rang égal supplanté par un « plein », comme un « volunteer » par un « regular ».
En pratique, il n’est pas rare qu’un officier américain possède trois ou quatre grades différents; on le désigne alors par le grade le plus élevé détenu à ce moment. La révocation d’un brevet (ou sa disparition de fait dans le cas, par exemple, de la démobilisation de l’armée volontaire entre 1865 et 1867) le ramène donc à son grade « confirmé » le plus élevé. Le cas de George Armstrong Custer cité en exergue est assez emblématique du système : Sorti sous-lieutenant (et d’ailleurs bon dernier) de la promotion 1861 de West Point, Custer a quatre ans plus tard, avec des états de service exceptionnels dans la cavalerie de l’Union, trois grades distincts : lieutenant-colonel « permanent » et brigadier-général par brevet dans l’armée régulière ; mais aussi major-général dans l’armée volontaire. C’est à ce dernier titre qu’on évoque donc le « général Custer » de cette époque mais au premier que, une décennie plus tard, il est tué à Little Big Horn à la tête d’une partie du 7e de cavalerie. Un autre exemple fameux est celui d’US Grant qui, ex capitaine démissionnaire de l’armée régulière, reprend du service en 1861 comme colonel dans la milice de l’Illinois. Quatre ans plus tard, ses états de service sans équivalent lui ont valu le grade, alors le plus élevé, de lieutenant-général dans les deux armées, et ce à titre définitif dont le caractère « plein » est confirmé dans l’armée régulière peu après la fin de la guerre.
A noter que les Confédérés copient globalement ce système, créant un noyau d’armée permanente (Army of the Confederate States) à côté de l’armée volontaire (Provisionnal Army). « Stonewall » Jackson est ainsi à sa mort seulement major d’artillerie dans la première, mais lieutenant-general dans la seconde. Joseph Pemberton, ancien major de l’armée régulière, lieutenant-general confédéré et vaincu à Vicksurg en 1863, démissionne de son grade et se verra conférer une nouvelle « commission », mais cette fois de simple lieutenant-colonel d’artillerie. Quant à Robert E. Lee, encore seulement capitaine de l’armée régulière américaine au bout de plus de 25 ans de service, il est colonel par brevet, nommé colonel « plein » juste avant sa démission de 1861, puis major-général dans l’armée de Virginie, brigadier général puis général « plein » (équivalent à quatre étoiles) dans l’armée confédérée.

Réplique de l’uniforme de Lee à Appomattox
Pourquoi, alors, Lee n’arbore t-il généralement que les trois étoiles « nues » de colonel ? On a beaucoup écrit qu’il s’agissait là d’une traduction de sa légendaire modestie, et d’un voeu de n’accepter le généralat qu’à la victoire. On peut également penser que pour ce « vieux soldat » très attaché aux prérogatives de l’armée régulière et ayant fait sécession à contrecœur, c’était sans doute une façon de ne donner crédit qu’à son rang officiel de soldat professionnel au milieu de myriades de généraux « de circonstances ».
Il semble toutefois qu’il ait fait une exception à Appomattox, son dernier grand uniforme ayant eu le col rehaussé de l’insigne de général, vraisemblablement pour se montrer au même niveau que son adversaire victorieux.
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