« Les fêtes aux escargots, j’en n’ai raté qu’cinq dans ma vie: les années 14, 15, 16, 17, 18. Quand c’était qu’j’étais aux Dardanelles, et pis qu’aux Dardanelles y’avait pas d’escargots. J’suis allé plus loin qu’Verdun et la Somme, moi ! J’ai pas fait une guerre eud’ fainéant ! »
L’impérissable réplique de Jean-Marie Péjat (alias Jean Gabin) grâce au talent de Michel Audiard dans les Vieux de la Vieille (1960) nous rappelle, avec quelque outrance et un peu de légèreté factuelle l’existence de cet épisode terrible que fut la campagne des Dardanelles. Pour en savoir bien plus au sujet de l’engagement parfois oublié aux côté des Britanniques et des ANZAC de 79000 « Dardas » français, on se jettera sur ce petit ouvrage de Sylvain Ferreira dans la belle collection Illustoria de Lemme Edit qui a pour ambition d’offrir en une centaine de page de rédaction et un solide cahier d’illustration des synthèses irréprochables sur des points d’histoire particuliers.
Le fictif Jean-Marie Péjat et ses camarades bien réels n’y auront certes pas passé cinq « fêtes aux escargots » consécutives : entre les premières opérations navales en février 1915 et l’évacuation du dernier détachement français le 9 janvier 1916, il se sera passé moins d’un an. S’ouvre alors la seconde phase de la campagne d’Orient sur le front de Salonique, qui jouera un rôle majeur dans l’effondrement des alliés de l’Allemagne en 1918. Période terrible en attendant que ces quelques mois de campagne aux Dardanelles et cette tentative désespérée pour s’accrocher aux rivages turcs dans l’espoir d’ouvrir les détroits et de ravitailler les Russes par la Mer Noire; tentative où les Français participent, une fois n’est pas coutume dans ce conflit, en tant que « brillants seconds » aux côtés des Britanniques et des fameux ANZAC. Cet échec tragique débute par la désastreuse tentative de forcer les détroits, fort bien décrite en détail dans l’ouvrage et où la marine française perd notamment le vieux cuirassé Bouvet, et se poursuit par « l’opération combinée » voulue par Churchill où pas moins de 47000 « Dardas », du Corps Expéditionnaire d’Orient du général d’Amade, 60% des effectifs paieront l’épreuve dans leur chair : 9700 tués et disparus, 20000 morts de maladie et 17300 blessés.
L’ouvrage témoigne d’un grand sens de la synthèse, permettant une appréhension la fois par le haut et le sol d’une opération combinée complexe. Sylvain Ferreira nous brosse à grands – mais pas gros – traits les péripéties des opérations et des projets en constante évolution en s’appuyant abondamment et très directement sur les documents et ce jusqu’au « seul succès de la campagne… – à l’exception de la diversion française sur Koum Kalé le 25 avril » insiste t-il – le rembarquement final au nez et à la barbe des Turcs.
Une belle référence donc, à la fois solide et accessible sur cette participation française sous direction britannique assez méconnue.
- Sylvain Ferreira, L’expédition française aux Dardanelles, Lemme Edit – Illustoria, 2016, 110pp + cahier d’illustration 16 pages.