Chaaargez !!! Des tuniques bleues et du 22e de cavalerie

tuniques bleues capitaine stark

Le capitaine Ambrose Stark, Westpointer monomaniaque, à la tête d’une énième charge du « 22e de cavalerie », le « régiment suicide »

Qui ne connaît la drolatique série « les Tuniques Bleues » de Lambil et Cauvin, l’un des piliers des éditions Dupuis depuis plus de… 45 ans ? Presque soixante albums sur fond de guerre de Sécession pour un public francophone qui en redemande (et a bien raison), voilà bien un indéniable et singulier succès. Bien évidemment l’historicité proprement dite de la série est au mieux très relative (ce qui n’est en rien une critique, ce n’est pas son but et c’est très bien comme ça), les clichés y sont nombreux (l’alcoolisme de Grant) et ses messages antimilitaristes ou au sujet de la société sudiste sont parfois assénés avec de très (trop) gros sabots. Elle présente toutefois au delà du strict divertissement le grand intérêt de faire découvrir un événement fondamental de l’histoire américaine (et par contrecoup mondiale) et de partir le plus souvent d’événements, de thèmes, d’anecdotes ou de personnages précis, variés et tout à fait réels.

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Le dernier album en date de 2014 : le thème est essentiel : le ravitaillement et la maladie. On meurt beaucoup plus de maladie que sur le champ de bataille pendant la guerre de Sécession. « Les » 22e de cavalerie ne feront pas exception.

On citera à titre d’exemples et en vrac le fameux duel naval Alabama / Kearsarge devant Cherbourg en 1864 (Duel dans la Manche), la naissance (pas tout à fait) du reportage de guerre avec le célèbre photographe nordiste Matthew Brady (Des Bleus en noir et blanc), l’anecdote des auxiliaires féminines confédérées défendant une petite ville de Georgie (les « Nancy Hart ») ou encore la forte résistance à la conscription (Emeutes à New York, cqfd). En toile de fond et aux côtés des personnages évidemment inventés (Blutch & Chesterfield, le capitaine Stark, le colonel Appeltown et sa fille…) figurent en outre des personnalités bien réelles à commencer par le général Grant, McClellan ou encore Lincoln.

Parmi les running gags qui font le succès de la série, les fameuses charges aussi improbables et répétées que suicidaires du capitaine Stark à la tête du 22e de cavalerie figurent en bonne place. Or, anecdote pour anecdote, je m’apprête ici à faire une révélation terrible propre à provoquer des rivières de larmes chez des millions de fans (attention sortez les mouchoirs): le fameux 22e de cavalerie… n’existe pas.

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Charge de la cavalerie nordiste à Gettysburg. La bataille donne lieu à l’un des plus important affrontements de cavalerie, montée et démontée, de la guerre.

… Enfin si, mais pas tout à fait (vous pouvez respirer et lever un sourcil incrédule et réprobateur). En fait c’est un peu plus compliqué. L’armée de l’Union pendant la Guerre de Sécession est composée de deux éléments distincts : D’une part la minuscule armée régulière professionnelle préexistante en 1861 et sous l’autorité directe du gouvernement fédéral. Or, même légèrement renforcée au début de la guerre, elle ne comptera jamais plus de 6 régiments de cavalerie au total, numérotés de 1 à 6. Exit donc de ce côté et de loin un quelconque n° 22. D’autre part, l’immense majorité des troupes, l’armée de volontaires constituée de régiments formés au sein des différents états et « confiés » au gouvernement pour la durée de la guerre (ou la durée de l’engagement des volontaires, ce qui donnera lieu à des dissolutions spontanées d’unités à la veille même de certaines batailles).

Un chariot dans l'Ouest, 8e histoire et premier album des Tuniques bleues parue en 1972

Un chariot dans l’Ouest, 8e histoire et premier album des Tuniques bleues parue en 1972

Or (bis), dans ce second cas, les régiments sont numérotés dans l’ordre de leur formation et on trouve bien dans plusieurs états des « 22e de cavalerie ». L’armée confédérée en aura au moins trois : le 22e du Tennessee, le 22e de Virginie et le 22e Texan. Côté Union (les Nordistes) qui nous intéresse ici, on en trouve sauf erreur seulement deux : le 22e de Pennsylvanie et le 22e de New York, deux états parmi les plus peuplés du pays ce qui explique qu’un si grand nombre de régiments de ce type y aient été successivement formés. Les deux régiments sont d’ailleurs assez tardifs (1863-1864) et bien que servant au cours de nombre d’engagements, ne se distinguent ni l’un ni l’autre par une quelconque propension à la charge intempestive. Le 22nd Cavalry Regiment Pennsylvania Volunteers participant notamment à la fameuse campagne de Sheridan dans la vallée de la Shenandoah, perdra au total 130 hommes, dont 97 de maladie. Quant au 22nd New York Volunteer Cavalry Regiment, présent notamment lors de la terrible bataille de Cold Harbor en juin 1864, il comptera 207 morts mais « seulement » 23 au combat et 184 (!) de maladie. Comme toutes les formations de volontaires, tous deux sont dissous peu après la fin des hostilités en 1865.

C’est tout pour aujourd’hui. Repos, vous pouvez charger (ou mieux, vous replonger dans les albums des Tuniques Bleues voire dans quelque ouvrage consacré à la passionnante et fondatrice guerre de Sécession)

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A propos Cliophage

Historien et Journaliste; Spécialiste d'histoire militaire contemporaine (XIXe - XXe siècle), défense & plus si affinités
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